Malgré la pandémie mondiale, la Serge Betsen Academy continue d’œuvrer pour permettre à de jeunes enfants d’avoir accès à l’éducation et à la santé par l’intermédiaire du rugby.
Cela fait 16 ans, que Serge Betsen s’est engagé au Cameroun, sa terre natale. Seize années durant lesquelles son association, constituée de bénévoles dévoués, s’est développée pour aider de nombreuses familles. Aujourd’hui, l’ancien international français aux 63 sélections, nous raconte dans un entretien la façon dont l’association a vécu la crise sanitaire mondiale, mais aussi le quotidien des enfants présents dans les cinq centres de l’académie.
Quel impact a eu la pandémie sur la vie de l’association ?
Serge Betsen : L’impact direct : c’est moins de fonds disponibles par les sociétés et partenaires habituels qui nous aident dans nos actions pour les enfants. On a fermé les cinq centres, les enfants restaient donc chez eux, par contre on a un suivi médical. L’objectif est de donner à chaque enfant un sac de riz et un sac d’arachides pour qu’ils puissent se nourrir, c’est ce que l’on a fait pendant les trois derniers mois. Cette semaine, il y a une réouverture des centres avec des enfants qui vont passer des examens : passage de l’école primaire au collège, BEPC, Probatoire ou Bac. Tous ceux qui ont des examens reviennent et on essaye de maintenir le cap de la réussite scolaire. Chez nous l’éducation est un élément très important. L’année dernière on a eu 94,5% de réussite au BEPC et 79% au Baccalauréat. L’action de l’association dans le suivi scolaire est quelque chose de très important.
Quel est l’objectif premier de l’association ?
S.B: Il y a trois piliers qui sont importants dans l’action de l’association. L’éducation, la santé et le sport. J’ai voulu utiliser l’excuse du sport pour améliorer la santé de nos enfants et leur donner accès à l’éducation. Les coûts de scolarité et des soins médicaux sont onéreux au Cameroun et les familles de l’association n’ont pas les moyens. C’est vrai qu’un enfant peu mourir dans l’heure quand les parents n’ont pas les moyens de payer les médicaments pour le soigner. Pareil, pour la scolarité. Si les parents n’ont pas les moyens, l’enfant reste à la maison et aide la famille à faire des travaux dans les champs. L’objectif premier est vraiment d’amener les enfants à être scolarisés. Les partenaires nous aident et cela permet aux enfants d’avoir des fonds du tiers scolaire et d’avoir les outils nécessaires pour aller à l’école. On essaye de soutenir cette action par des outils pédagogiques, cahiers, stylos, sacs, uniformes et de maintenir un suivi. A partir du moment où le contexte familial est difficile, l’enfant peut ne pas avoir de lumière pour travailler quand il rentre à la maison. Il peut ne pas avoir à manger donc on essaie de créer un cercle vertueux.
A partir de quel constat avez-vous créé l’association ?
S.B : C’est venu d’une rencontre entre le lieu où j’ai vu le jour et mon retour aux sources. J’ai quitté le Cameroun à l’âge de 9 ans, j’y suis retourné quand je me suis marié pour montrer mes origines à ma femme et ma belle-famille. De part ce voyage, j’ai pu vivre l’expérience d’un retour aux sources et je me suis rendu compte de la situation de certaines familles. J’ai été touché par cela. Ma volonté première, c’était d’aller voir des enfants jouer au rugby. Je me suis rendu compte que je voulais utiliser le rugby pour parler d’autres choses. Pouvoir faire jouer des enfants au rugby c’est super, mais cet enfant, avant qu’il joue, il faut qu’il ait à manger, qu’il puisse avoir la possibilité d’aller à l’école. Ces deux choses étaient importantes. L’excuse du rugby est devenue facile parce que ces enfants avaient besoin de ces deux choses importantes pour leur équilibre et leur développement. Aujourd’hui, on est fier de voir ces enfants avec le sourire, de voir qu’ils ont des rêves. Le rugby m’a fait réaliser mes rêves et j’avais envie de l’utiliser pour que cela aide ces enfants à se découvrir, à se développer et vivre leur vie. Je suis fier du fait qu’ils aient envie de devenir médecin, enseignant, infirmier ou autre. Mais aussi qu’ils aient envie de s’épanouir et de s’émanciper.
Quelle place a le rugby aujourd’hui dans une semaine type ?
S.B : Le rugby est toujours présent parce que dans les cinq centres, on essaie d’initier le rugby à ces enfants, pas pour qu’ils soient des joueurs ou des joueuses professionnel(le)s, juste pour que le sport puisse les aider à grandir, dans le fait d’avoir une culture du respect, de la discipline et le sens du goût de l’effort. Ils font des activités sportives variées mais le rugby est constant. Pour moi, c’est le meilleur sport au monde pour transmettre les valeurs que l’on retrouve dans la société. Le rugby est présent parce que j’ai voulu faire un parallèle avec mes débuts dans le rugby. J’ai commencé le rugby à Clichy-la-garenne, en région parisienne. La personne qui m’a amené au rugby ne me connaissait pas. Elle m’a demandé si je voulais jouer au rugby et j’ai dit oui. Le week-end d’après j’étais au club. J’ai trouvé cette rencontre assez incroyable et je me suis toujours dit : « ces gens qui ne me connaissaient pas ont pris le temps pour moi, m’ont transmis la passion de ce sport ». Un club-house, au rugby, est un lieu où il y a de la sécurité pour les enfants, où les gens sont souriants. Ces gens transmettent leur passion, ils prennent le temps pour les enfants. C’est un peu ce lieu que j’ai voulu transposer dans le quotidien des enfants au Cameroun.
Comment les enfants sont accueillis ?
S.B: Le principe est d’avoir une maison avec une pièce de vie qui permet d’accueillir un certain nombre d’enfants. La Serge Betsen Academy accueille en moyenne 500 enfants par jour et par an. En 16 ans, nous avons pris en charge près de 6000 enfants au total, dans nos cinq centres construits autour du triptyque éducation, santé, rugby. Dans le centre de Bangangté, des repas sont régulièrement servis à ceux qui participent à nos cours de soutien scolaire et aux activités rugby. Le deuxième centre est celui de Bafia où il y a des enfants du secondaire au lycée. A Yaoundé, il y a Jardin Eden qui est un centre dont la responsable s’occupe aujourd’hui d’enfants en bas âges. Le seul centre où il n’y a que des adultes et que du rugby, est celui d’Etoudi. Ils ont participé au championnat même s’il n’y en a plus en ce moment. Enfin, il y a le centre Zoétélé qui fonctionne autour de notre triptyque.
L’académie a 16 ans, avez-vous pu suivre certains enfants après leur sortie de l’académie ?
S.B : Aujourd’hui on a un groupe d’anciens qui a constitué une association pour revenir. Ils reviennent régulièrement pour donner un coup de main aux centres. L’idée est qu’ils s’approprient l’académie. Du manque de moyens, on n’a pas un suivi détaillé des enfants mais on sait qu’il y en a certains qui ont joué en équipe nationale de rugby, que certains sont partis à l’étranger.
De quel soutien humain bénéficiez-vous pour gérer l’académie ?
S.B : On est trois dans le board. Odile Prévot-Mussat est la secrétaire générale de l’association qui est basée à Washington DC. Le trésorier est Sébastien Lovy, un entrepreneur basé à Hyères près de Toulon. On a aussi des bénévoles à Biarritz où j’ai créé l’association. On a aussi Lionel Quenardel qui est à Massy. C’est le responsable technique de l’association car il est enseignant de sport, on a joué au rugby ensemble. Il a une double-casquette parce qu’il a développé l’initiative de recyclage des ballons de rugby (des sacs, trousses, portefeuilles sont fabriqués à partir de ballons). On essaye aussi de faire des choses dans l’air du temps pour sauver notre planète. Dans les centres, il y a des enseignants qui viennent pour les devoirs, des coachs, des infirmiers Au mois de mars, ils ont servis 220 repas aux enfants et au mois d’avril l’équivalent de 191 repas. Ce sont des gens dévoués qui sont responsables des centres, qui gèrent les enfants et le suivi.
Quels sont les futurs projets de l’association ?
S.B : Nous avons été lauréats cette année des microprojets Sport & Développement soutenus par l’AFD – Agence Française de Développement pour notre projet #Rugby4Kids qui sera lancé en septembre. Depuis trois ans on a mis en place la SBA Coop, une coopérative agricole pour les mamans dont les enfants viennent au centre. On a identifié que ces mamans avaient la volonté de cultiver. On leur a donné des fonds pour qu’elles puissent acheter des semences à planter, quand elles récoltent, elles rendent 25% à la coopérative. Cela permet de les rendre indépendantes, actives et qu’elles puissent subvenir aux besoins de la famille. Aujourd’hui cette initiative marche très bien, cela permet de rassembler l’action autour des familles, des mamans qui ressentent le bien-être d’être autonomes et de développer leur communauté. Ensuite, lors de la période des pluies au Cameroun il y a pas mal de cas de paludisme. Grâce à une levée de fonds avec les Wasps Legends – association d’anciens joueurs du club – on va lancer une campagne contre le paludisme.
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