Après un succès impressionnant sur l’Australie puis une désillusion face aux Pumas, le XV de France termine ces tests matches de l’automne par la réception des All Blacks de Tana Umaga.
Le dernier des trois rendez-vous du XV de France de l’automne 2004 est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands moments de l’histoire de notre sport. La réception de la Nouvelle-Zélande est un événement. Depuis l’exploit de 1999 en demi-finale de la Coupe du Monde, cette rencontre revêt d’une importance capitale pour les français mais également pour les néo-zélandais qui ont très mal vécu cette élimination. Encore éliminée en 2003, la Nouvelle-Zélande concentre les critiques. Au pays du long nuage blanc, la presse s’impatiente et cible le haka. En réalité, même au sein du groupe de Graham Henry la question se pose. Faut-il arrêter le haka avant le début des rencontres ? Certains arguent que la débauche d’énergie pour cet instant de fusion entre la culture maori et le sport est responsable des récentes contre-performances physiques dans le Tri Nations. D’autres estiment que la tradition a perdu de sa valeur et que le haka est désormais un triste spectacle. Le sélectionneur réunit ses cadres. Parmi eux, Richie McCaw, Tana Umaga ou encore Justin Marshall débattent sur le sujet.
Lors de cette réunion les phrases fusent « On a les caméras dans la gueule, c’est un fardeau, c’est lourd à porter, on veut juste en finir et rentré dans le match », « C’est pour les maoris ce n’est pas pour nous », « C’est devenu un truc pour les sponsors et les télés »*. Gilbert Enoka, adjoint de Graham Henry, raconte : « Les gars ne se sentaient plus impliqués. Ils avaient l’impression que le haka ne leur appartenait plus, et que même quand ils le faisaient, le lien spirituel avec le pays était cassé. » Pour lui pas de doute, le rugby néo-zélandais vit un moment charnière : « C’était un tournant important pour la culture des All Blacks. Il y a eu quelques grands moments dans l’histoire de cette équipe, mais celui-là a été énorme ».
L’équipe de Graham henry est en rupture avec la culture maori, il fait alors venir un expert pour expliquer le lien entre les joueurs et leurs racines. Le groupe revit. Dans la foulée, la création d’un nouveau haka, le Kapa o Pango, rapproche les joueurs de leur culture. « Laisse-moi retourner à mon tout premier souffle. Que ma force vitale retourne à la terre. Nous sommes Aotearoa, c’est notre terre qui gronde. Et ce moment est à moi. Il est temps, l’anticipation explose. Sentez comme notre puissance monte, notre suprématie éclate pour atteindre les cieux. La fougère argentée, All Blacks. La fougère argentée, All Blacks ! Aue hi ! » crient-ils pour la première fois quelques mois plus tard en 2005 contre l’Afrique du Sud. Frissons garantis….
Le plus mythique des hakas
Également vexés par des français moqueurs, mimant le haka dans une vidéo après la demi-finale de 1999, les néo-zélandais arrivent au Stade de France avec l’intention d’en découdre. Tana Umaga raconte ce moment : « Graham Henry nous a montré la vidéo de 1999 et les français qui fêtaient leur victoire en se moquant de notre haka […] Je pense que cela a vexé beaucoup de joueurs […] Le haka est quelque chose qui nous tient à cœur en tant que All Blacks […] C’est ce qui nous rend uniques. Donc lorsque nous sommes partis, le haka était déjà mis sur un piédestal, et de voir des français qui s’en moquaient, de voir quelque chose que nous avions tous étudié, pour lequel nous avions le plus grand respect, quelque chose qui fait partie intégrante de notre identité, de le voir bafoué comme ça par les français… Ça a cristallisé notre motivation. Ça nous a fait mal, et à ce moment-là, nous a probablement insufflé une motivation pour bien jouer. Voilà pourquoi nous avons fait un haka si puissant au Stade de France. Les français avaient montré un tel manque de respect pour notre culture que nous étions décidé à faire le meilleur haka possible. »
Touchés, les néo-zélandais se mettent en position avant le coup d’envoi. Les français ignorent alors qu’ils vont subir l’une des plus lourdes défaites de leur histoire à domicile. Le Stade de France retient son souffle. Tana Umaga plante son regard dans celui de chaque Bleu et amorce ce qui est désormais le plus mythique des hakas. Celui de la renaissance d’une tradition qui a failli se perdre. En revoyant ces images, on comprend parfaitement comment le XV de France fut balayé de la sorte. Umaga a libéré la toute puissance de la marée noire. Ce 27 novembre, ce n’est pas une équipe qui s’est imposée, c‘est une culture.
L’émergence de Carter
Le match s’est joué avant même le coup d’envoi. Tétanisés, les français ne peuvent que constater l’écart de niveau. Déjà que leur confiance avait pris un sacré coup après la désillusion contre l’Argentine, le haka est venu liquéfier les dernières intentions. Menés dans le combat par le capitaine Umaga et tactiquement par Dan Carter, alors à l’aube d’une immense carrière qui fera de lui le meilleur joueur du monde, les néo-zélandais marchent sur Saint-Denis. A croire que les deux équipes n’évoluent pas dans la même division. Plus rapides, plus ingénieux, plus forts physiquement, plus engagés, les All Blacks dominent le premier acte mais il faudra attendre la fin de la première mi-temps pour les voir entrer dans l’en-but français par l’intermédiaire de So’oialo.
En revanche, les hommes en noir mettent beaucoup mois de temps pour marquer leur deuxième essai au retour des vestiaires. Poussé par ses coéquipiers, le regretté Jerry Collins marque son premier essai en sélection. Dans le même temps Carter continue de balader le trio arrière Heymans-Poitrenaud-Rougerie. Les français courent, s’épuisent en défense, ne voient pas la lumière mais seulement les ténèbres des maillots noirs. Les attitudes ne trompent pas, les regards vides non plus. Alors que les Bleus tentent de retrouver leur souffle, les All Blacks maintiennent un rythme soutenu. Quelques instants après l’essai de Collins, Dan Carter franchit également la ligne d’essai. Puis, son compère de la charnière Byron Kelleher marque à son tour, la Nouvelle-Zélande s’envole. Ce festival se termine par un ultime essai d’un certain Ma’a Nonu. Score final 45 à 6 !
Le XV de France, vainqueur incontestable du dernier 6 Nations, est alors bien loin de ces All Blacks qui vont dominer la planète rugby les trois années suivantes. Ce lourd revers clôt une tournée finalement désastreuse et marque un coup d’arrêt dans la préparation de la Coupe du Monde 2007, objectif revendiqué par Bernard Laporte. Néanmoins, ce match marque un tournant pour le rugby néo-zélandais, celui où le haka fut sauvé d’un destin funeste. Depuis, Ka Mate et Kapa O Pango sont toujours autant attendus par les fans du monde entier avant chaque match des All Blacks.
*Propos révélés par Ian Borthwick dans son excellent ouvrage « All Blacks – Au cœur de la magie noire »